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Déjà quatorze années se sont écoulées depuis l’époque où Charlotte découvrait, petite fille, que les membres de sa famille et elle étaient confrontés à des situations pour le moins délicates et inhabituelles aux côtés de Blanche, sa mère.
Charlotte a vieilli. Elle a connu l’amour et la déception de voir partir celui qu’elle aimait. Elle s’est aussi découvert une force nouvelle, de même qu’une vie en elle qui la pousse à aller de l’avant et à quitter le pays pour se rendre dans une Europe en guerre. Parviendra-t-elle à améliorer son sort en quittant sa famille et Montréal ? Retrouvera-t-elle Gabriel, ce peintre qui hante toujours ses pensées depuis qu’il est parti parfaire sa formation à Paris ?
Pour ceux qui restent, dont Anne la petite sœur de cinq ans, Raymond le père de la famille Deblois et la fragile mais clairvoyante Émilie, la vie se poursuit, selon les hauts et les bas souvent dictés par l’état et les attitudes de Blanche. Émilie réussira-t-elle à avoir une vie normale malgré tous les maux qui l’accablent ? Raymond, de son côté, saura-t-il renoncer à jamais à la passion au nom du bonheur de ses filles ?
Dans un tel contexte familial, la peinture, l’écriture et la musique se tailleront une place privilégiée jusqu’au cœur des êtres éprouvés. Ceux-ci arriveront-ils à vivre une vie plus riche que celle qui leur semblait destinée ?
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« ... Quand elle arriva devant la maison qu’habitait Émilie depuis son mariage, Charlotte leva les yeux en hésitant. Elle était certaine d’être devant le bon immeuble, Blanche en avait si souvent parlé que Charlotte avait l’impression d’être déjà venue. Non, son indécision ne venait pas de là. L’origine de son malaise se situait très loin du moment présent.
Son hésitation à traverser la rue et sonner à la porte venait de son enfance, de toutes ces années où les deux sœurs avaient vécu en parallèle sans vraiment se connaître. Même ce matin, Charlotte n’avait pas la moindre idée de la façon dont Émilie allait l’accueillir.
Serait-elle heureuse, soulagée de pouvoir reparler de tout ça ou au contraire, cette démarche n’allait-elle pas enfoncer un peu plus le couteau dans la plaie ? Ce n’était évidemment pas ce que Charlotte voulait. Pas plus qu’elle n’avait voulu que sa sœur entende ses propos hier...
Le logement était accueillant et à peine le temps d’y mettre les pieds, Charlotte dut reconnaître que Blanche en avait fait une juste description. Dès que la porte s’était refermée sur elle, Charlotte avait eu l’impression d’être enveloppée d’un voile de douceur.
La douceur d’Émilie.
Celle-ci l’attendait assise dans le salon envahi par le soleil du matin.
--J’ai passé la nuit ici, annonça Émilie sans le moindre bonjour.
Était-ce un préambule ou une mise en garde ? Charlotte essaya d’y voir un signe encourageant.
--Moi non plus, je n’ai pas dormi.
Elles étaient donc sur la même longueur d’ondes. Émilie la regarda un instant avant de détourner la tête.
--Pourquoi es-tu là ?
Charlotte haussa les épaules. En fait, pourquoi était-elle venue exactement ? Elle-même avait de la difficulté à s’y retrouver.
--Je ne sais pas, répondit-elle honnêtement. Peut-être simplement parce que je croyais que c’était important.
--Important pour qui ?
--Pour nous deux.
À ces mots, un vague sourire flotta brièvement sur le visage d’Émilie avant qu’elle tourne la tête vers Charlotte.
Alors pour une fois, j’ai l’impression qu’on pense la même chose. Tu veux t’asseoir ? »